{Texte} La Boîte

Avant de parler d’elle, parler de sa taille, sa forme, son aspect. Avant qu’elle ne prenne corps sous nos yeux, comme dans notre esprit, il faudrait la trouver. La débusquer. Car te connaissant un peu, je sais tellement, que tu aurais choisi, le trou le plus sombre, la cache la plus indétectable, le bout du monde le plus reculé, pour la planquer de tous et de tous les regards.

Ta boîte.

Mais tu le dis assez, je suis plutôt maligne et même si j’en crois tes mots, correctement intelligente, alors, je vais faire gagner à tous,
du temps. Après tout c’est moi et moi seule qui écris cette histoire.
Elle est là, derrière le carreau d’une plinthe, entre le pied de faïence vieux-rose d’un lavabo et le bout de baignoire. Bien sûr, il faudrait dépoussiérer l’endroit car après tout voilà des lustres que personne n’y aurait mis les pieds, dans cette salle-de-bain défraîchie, au premier étage de la maison en ruines de tes amours déçus.
Un petit coup du doigt replié, sur le carrelage et ça sonnerait creux et, sans même forcer, la plinthe se détacherait du mur et c’est là que nous trouverions, dans un trou de béton et un voile de soie d’araignée, ta boîte.
Nous pourrions choisir de la laisser là, à l’abri du monde et ce serait la fin déjà de notre histoire, le lecteur partirait, un peu comme il est venu, sur la pointe des pieds, à chercher les étoiles.
Ou nous pourrions tendre le bras, la saisir, la tirer jusqu’à nous et contempler cet objet, posé devant nos genoux pliés sur le sol crasseux. C’est là que nous parlerions d’elle.
Une boîte en fer, comme ces boîtes de gâteaux métalliques que nos grands-parents tiraient d’un placard à l’heure du goûter, quand leur pendule mettait sur pause leur tic-tac monotone, le temps de quelques gongs. Mais voilà, les âges sont passés sur l’objet, le fer est patiné, des galettes bretonnes aux madeleines tendres, impossible d’identifier ce pour quoi cette boîte était destinée. Qu’as-tu mis dedans ?
Nous pourrions immédiatement l’ouvrir et le tour serait joué, fin du suspense lecteurs, fermez les pages, plus rien à vois. Ou nous pourrions jouer à deviner ensemble, laisser libre cours à notre imagination, mais ne nous mentons pas, j’ai le stylo, les rênes depuis le début, je sais où tous nous emmener.

Une collection de pin’s publicitaires, une boîte d’allumettes, deux petites voitures, un diapason, un walkman, un crayon de papier taillé par les deux bouts, le visage de Kurt Cobain plié en huit sur une affiche, une clef, un bout de laine, une rose séchée, trois photos d’identité ratées d’un photomaton de gare, un numéro de téléphone fixe sur une serviette en papier, une poignée de billes, un mistral gagnant, des pansements…

Qu’as-tu mis dans cette boîte ?

Evidemment tu es muet et je n’en attends pas moins de toi, alors je proscris tout conditionnel, ce ne sont guère des souvenirs ou de simples objets que tu as ici remisés. Dois-je ouvrir ? Dois-je ouvrir cette boîte si d’avance je sais ? Ne ferais-je pas mieux de tout remettre à sa place, le fer patiné dans le trou de béton sous la plinthe de carrelage au fond de la salle-de-bains ? Tout remettre et poursuivre mon chemin : n’est-ce pas le mieux à faire dirais-tu ? En quoi ouvrir tout changerait quelque chose ? Le contenu bouleverserait-il ce qui existe, ce qui est là ?

Je ne crois pas.

Néanmoins assommée par toutes ces interrogations, je décide de faire un choix grave, un choix qui ne me ressemble pas. Je quitte la salle-de-bains, la maison, avec ta boîte sous le bras.
Que tu veuilles bien l’ouvrir pour moi, voilà ce que je veux vraiment. Et j’attendrais. S’il le faut. Longtemps.

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