Texte 1
Ma mère avait attribué la rose à ma cousine. S’il était encore possible de visionner le film de ce jour de fête, on le verrait. Mon visage. Infiniment déçu et inconsolable.
Ma mère est debout devant l’énorme gâteau, elle découpe les parts et les dépose sur les assiettes qu’on passe les unes les autres jusqu’à elle. C’est mon jour aujourd’hui. C’est pour cela que toute la famille est réunie. Je sais que mon tour viendra, que la politesse exige de servir les hôtes en premier, mais je la regarde, d’où je suis, je ne la lâche pas des yeux. Ma rose. Posée là, magnifique, appétissante et sucrée, elle trône sur le dessus du gâteau. Du bout de sa pelle à tarte, ma mère la détache et la dépose dans l’assiette de la plus petite d’entre nous. Et je ne comprends pas.
Texte 2
Être une rose c’est bien beau. La délicatesse, le doux parfum, le velouté irrésistible des pétales. Tout dans une rose est séduisant. C’est vrai ? Qui refuserait la rose tendue ? Rose d’amour ou rose de trêve, sur une tombe ou au fusil, à la boutonnière, en bouquet de 100, des roses, des roses, des roses : il n’y a que ça de vrai n’est-ce pas ? Pour toute circonstance, la rose est là !
Et la pivoine ? Dites-voir la pivoine ? Plus discrète, plus confidentielle, ne peut-elle pas la pivoine, blanche ou rose, avoir aussi sa chance ? Parce que les roses, les roses ça va un temps ! Ca vous en envoie plein la vue du premier coup, ça vous saisit au nez d’emblée et puis après ? Après ça fane, ça se flétrit, se rabougrit si vite. Et les épines ! Grand Dieu !
Alors ma p’tite Dame, moi je vous l’dis, dans votre jardin, plantez des pivoines ! Laissez-donc les roses !
Texte 3
Je ne veux pas devenir une rose. Non. Ca ne me ressemblerait pas. Précieuse, fragile, si brutalement belle… non, devenir cela : impossible.
Je préfère, aux évidents artifices, la timidité d’un bouton de pivoine. Petite boule ronde et hermétique au bout de ma longue tige, je me vois plutôt suivre le flottement du vent et accueillir les gouttes de pluie bien tranquillement, rassemblée en moi-même. Puis, me laisser réchauffer jour après jour au soleil pour enfin, lorsque je l’aurai décidé, m’ouvrir au monde, pétale après pétale, libérer ainsi ma voilure aux regards, ce jupon léger fait de multiples couches que moi seule connaîtrais du bout du cœur.
Oui. Une pivoine. Laissez-moi plutôt devenir cela.