Jeudi 2 avril
Un dîner sur une belle nappe blanche, petit pain rond et doré, beurre d’algues, beau verre à pied, liquide jaune au tiers, liquoreux, pailleté, miel en bouche. Et le temps se suspend.
Toi ?
Une longue balade à la mer, les bas de jeans retroussés, les pieds nus sur l’estran blond, mordant les laisses d’écume abandonnées là par les vagues mourantes ; les voûtes plantaires sur le rugueux du monde, sur le grain de l’univers ou l’abrasif d’un tout que sais-je. Une longue balade à vide oui, avide de ce vent iodé, ce vent qui nettoie tout, balaie les cheveux, les charge de sel et d’eau, les colle aux yeux, au cou. Ivre d’air, des cris agaçants des goélands fous, voilà que je ris urgemment, follement, à en perdre haleine, je ris, je cours, je cours dans le ressac, frondeuse t’éclabousses, je cours, et je suis ivre et trempée, ivre de joie, ivre de vie, ivre de toi. Et toi, et toi dis-moi ?
Une sortie sans but sur les trottoirs de la ville lumineuse, le nez dans les hauts de façades grises, en quête d’un détail inconnu, étrange trésor offert à la vue de tous et si peu convoité cependant, une sortie, oui, le sourire en avant, le sourire, le cœur au tout venant, sans peur aucune de frôler l’autre, de se l’emplafonner même à si mal voir devant; sans peur encore de lui rire sous le nez de tant de maladresse. Lui souffler alors quelques mots au visage, des mots spontanés, futiles ou drôles, oserais-je peut-être, des mots qui dansent, des mots sibyllins. Une sortie oui sans aucun autre but que de se s’accrocher au premier venu et retrouver alors un peu de consistance…
Tu feras quoi toi, dis-moi, quand tout sera fini ?
Jeudi 9 avril
Elle se jette dans le grand bain du jardin à peine réveillée, si heureuse d’être autorisée à fouler la rosée, pied-nus dans ses claquettes bleues et en pyjama. Le soleil embrasse le monde avec vérité. Elle court dans l’herbe et offre son rire aux jeunes merles qui de leur bec fouillent la terre encore fraîche de la nuit. Elle court, elle chante, elle rit, court encore et, dans son élan, exécute une roue, puis deux. Depuis la baie vitrée béante, je la regarde, serrant entre mes mains une tasse de café fumant. Je souris. La clarté chauffe mes paupières, le café est bon, mon enfant est heureux. Sa disponibilité au bonheur présent me remplit. Je songe alors à l’enfant en moi, celui que j’ai perdu.
Samedi 11 avril
Nous avons élu domicile sous l’abricotier. Sous les frondaisons vertes, assises dans les transats, elle et moi. Ça commence dès la fin de matinée, “tu viens dehors maman ?”. Comme un appel du dehors. Une nécessité. Nous sortons les chapeaux, la crème solaire, les livres, les verres de soleil.
Au soleil les doigts de pied ! Au soleil les bras, les jambes, entremêlées ! Entre quelques pages, nous observons les oiseaux, écoutons leur chant, nous leur inventons même des prénoms. Le rouge-gorge a besoin qu’on l’entende, répétant à tout va la même phrase musicale. Nous le baptisons Marie-Jeanne. Il passe d’arbre en arbre, le pommier, le frêne, les étranges pins du voisin, et puis il est au-dessus de nos têtes, à la cime de l’abricotier. Nous l’entendons sans pouvoir le voir, l’arbre commence à être feuillu. Nous poursuivons nos lectures, les jupes relevées sur nos cuisses, peu importe personne ne nous vois, nous sommes les reines du jardin, les jolies fleurs de la rue, rien ne nous arrivera.
Félicitations pour ces jolis textes, c’est un régal !
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Merci beaucoup c’est adorable
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