Les mains enfoncées dans les poches de son duffle-coat bleu marine, la tête entrée dans les épaules – il pleut à l’horizontale et il vente sur le grand parking – il marche vite et s’engouffre par les grandes portes automatiques, dans la gueule béante du temple de la consommation. La galerie marchande du centre commercial. Parmi la foule des samedis après-midi, affairée à aller et venir de magasin en magasin, de rayons traiteur aux têtes de gondoles de produits laitiers, il avance d’un pas franc, sans prêter attention aux vitrines aguicheuses ou aux promotions criardes, bien décidé à parcourir le chemin qui le conduit à sa destination. Un espace apparaît bientôt à quelques mètres de lui, un espace étonnamment vide de présence humaine malgré l’affluence du jour. Familles nombreuses, couples unis, jeunes stoïques, tous passent à côté de cet endroit sans s’y arrêter, sans y prêter même attention. Il sourit. Il sourit parce qu’il invente. Dans sa tête. Il se dit que ce petit salon est comme une bulle, une bulle dans une autre dimension spatio-temporelle, connue de lui seul. Personne d’autre que lui ne peut voir ces quelques fauteuils de simili-cuir orange, rangés les uns à côté des autres et cernés de deux palmiers nains, si verts qu’il se demande s’ils sont naturels. Personne d’autre que lui ne prévoit de rejoindre cet endroit particulier. Personne d’autre que lui ne compte s’y asseoir, s’asseoir là dans cette bulle, dans sa bulle vide de tous et peut-être même de lui-même. Personne. Pour l’instant. Car tandis qu’il a pris place dans un des fauteuils, presqu’aussitôt, une jeune femme s’assoit à son tour, juste à côté de lui. Elle aurait pu, elle aurait pu choisir un des autres sièges, mais c’est ici qu’elle s’installe. Vêtue d’un long imperméable beige et d’un hidjab couvrant ses cheveux, elle ne regarde pas l’homme, ne lui parle pas. Elle est juste assise à côté de lui et tous deux, extraits du temps et de sa course, restent là, un long, un très long moment, leur regard jeté simplement devant eux. Les heures s’écoulent tandis que la vie fourmille autour d’eux. Ils demeurent là, entre les deux palmiers nains, sans mots dire, presque immobiles.
Si quelqu’un, un passant fatigué, une personne âgée peut-être, si quelqu’un songeait à s’arrêter là un moment, et prendrait place alors près d’eux, dans ce petit salon, au milieu de cet immense centre commercial, alors cette personne serait sans doute intriguée, curieuse devant ce qui se joue là. Et elle serait peut-être, si elle poussait ses investigations, elle serait peut-être soudainement frappée par l’évidence mais pas seulement. Elle serait frappée par la tendresse du regard de cet homme, du regard de cette femme, par la tendresse de leurs regards qui s’enlacent, qui s’embrassent dans le reflet de la vitrine qui se trouve devant eux.
Mais personne ne s’arrête de tout l’après-midi, personne jusqu’à ce que l’homme reboutonne son duffle-coat et se lève, et s’éloigne et marche dans la galerie, sur le parking. Personne n’est là non plus pour remarquer que la jeune femme aussi est partie. Personne et c’est sans doute mieux ainsi.
Une rencontre tout en poésie dans un endroit qui d’habitude en manque cruellement. Une rencontre comme un arrêt sur image. Avant que la vie reprenne…
Joli et touchant
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merci Marie ! 🙂
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