{Texte} Maspalomas #2

Montañas

Dans les virages serrés, sur les routes de corniche, Veronica mène l’autocar long de 18 mètres et à moitié rempli de touristes français, avec assurance, cheveux noirs solidement ramassés et serrés sur le dessus de la tête en chignon. Ils sont montés d’hôtel en hôtel depuis le sud de l’île, zone touristique de tous les excès, complexes hôteliers démesurés, barres d’immeubles élevées, boutiques et supermercados, grupos medicos, restaurants, bars et dancings tenus par des expatriés allemands, peau brunie, rides creusées par le soleil cuisant, organisant karaoké et concerts de crooners sur la fin, aux voix usées par les cigarettes sur cigarettes fumées.

L’autocar quitte cette partie de l’île surpeuplée, direction Tejada, el Pico de las Nievas et la réserve naturelle de Tamadaba, sa forêt de pins millénaires et de cratères volcaniques antédiluviens. La route serpente dangereusement à flanc de montagne le long des buissons de cactus gorgés de figues de barbarie. Veronica fait danser le large volant entre ses mains fraîchement manucurées, une couleur par ongle, rose, bleu, vert, jaune pastel; à gauche, à droite, le car change fréquemment de cap, tangue à chaque virage, brassant la poussière qui monte depuis le niveau de la mer, s’élève en nuage comme la brume de mer, semblant grignoter les sommets demeurant dans le soleil. Le car se braque à la faveur de la vigilance de Veronica, un poids lourd parfois en face, cela ne passe pas, alors le véhicule doit céder la route en reculant, les touristes serrent leurs fesses dans leur short, frissonnent sous le souffle froid craché par les aérations de l’habitacle de l’autocar.

De panorama en panorama et toujours plus haut, le car s’élève bercé par la langueur de l’ascension et la voix de Miguel, le guide assis sur le siège de devant, face au parebrise, micro à la main et qui parle un français très courtois, au vocabulaire qui ne se pratique plus dans l’hexagone, désuet, suranné; il offre sa main à la descente quand les pieds emprisonnés de sandales hésitent dans les marches de l’autocar. Et puis soudain, la voix grave se tort, Veronica jette un regard sur la toute petite icône de Marie, dépliée en triptyque sur le tableau de bord, et essuie sous le verre droit de ses lunettes de soleil, le coin de son œil. La route surplombe alors la pente désolée d’une pinède saccagée. Au milieu des troncs calcinés, certains arbres rompus gisent sur un tapis de cendres, tristes cadavres noirs déchirés, déracinés. Le désastre offre son spectacle indécent sur plusieurs kilomètres, le silence étreint tout l’autocar, un frisson traverse chacun, certaines femmes s’empressent de mettre sur leurs épaules un sweat, un gilet. Et puis soudain, sur une ligne clairement matérialisée, coupant net la forêt, et comme si ici la nature était parvenu à se défendre, là, des branches couvertes d’aiguilles de pin vertes et aussi, des troncs marron bien droits sur leurs racines, en somme, la vie, encore.

Alors, Miguel, Veronica, Martine, Gérard et Claire aussi peut-être, sourient.

(Re)lisez Maspalomas #1 ICI

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