{Texte} Découper le poulet

Foudroyée.
En train de découper les blancs de poulet quand foudroyée. Déchirée, de part en part. Obligée, lâcher le couteau, obligée, sur la planche à découper, obligée, jeter le torchon sur la viande, parce que le chat, le chat pas loin et moi, moi, pliée en deux sur place, foudroyée au milieu de la cuisine. L’intérieur de moi en torsion. Dedans mon ventre, les contractions, et mes reins, mes vertèbres, mes lombaires qui ne me tiennent plus debout. Ne pas rester là mais comment se mettre ? Souffler, souffler longuement par la bouche. Inspirer. Se concentrer sur sa respiration et cela passera certainement. Et puis non. Une nouvelle salve, plus violente encore. Terrible, indescriptible. Effroyable. Ce corps hurle, se tord, parle. Parle de quoi ?
Il parle de morceaux de lui-même se désagrégeant et s’expulsant sans ménagement. De cycle perpétuel, de contrainte et de souffrance. De courage, pour une, deux journées par mois à ne plus pouvoir rien faire, quand il faut pourtant se lever, travailler, avancer. Ce corps parle de nature et de procréation, de pouvoir féminin. De honte. De sang qu’on ne montre pas, surtout pas à la télé. De protections qu’on change derrière les portes fermées à double-tour, de tâches sur les draps ou sur les sous-vêtements qu’on frotte sous l’eau claire des robinets au petit-matin. Voilà ce dont parle ce corps, tous ces corps de femmes meurtris et traumatisés, lorsqu’ils reposent dans l’eau brûlante du bain, foudroyés; corps de femmes incapables, incapables de découper le poulet.

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