{Texte} La Tête en bas

Me voici donc la tête en bas dans une femme.
Les sons de l’extérieur me parviennent en pâtée pour chat. Chat.
Je ne sais pas à quoi ressemble cet être vivant.
Je sais qu’elle se sent dégoûtée par l’odeur de sa nourriture lorsqu’elle se plie péniblement en deux pour la lui servir. Elle vacille sur ses jambes parce que le chat excité à l’idée de manger sa ration quotidienne, vient se frotter à elle avec insistance en miaulant et en ronronnant à outrance. Elle a peur de basculer à cause de lui, de rouler sur le lino comme un de ces jouets culbuto qu’elle a tout de même fini par acheter.
Apaiser sa conscience voilà comment ils diraient dans « Grand bien vous fasse » sur France Inter. Acheter quelques bricoles à gauche, à droite, histoire de se dire qu’on prépare ma venue quand même; mais ma vieille ! Faut pas me la faire à moi !  Je ne vais pas naître de la dernière pluie…

Elle chantonne. Une chanson de Louis Armstrong à la radio. Les paroles pâtée pour chat dans ma bulle d’eau chaude, de la bouillie – je devine que ça parle d’un monde dehors pas piqué des vers, mais qu’il faut s’efforcer de trouver beau, au travers de petites choses plaisantes comme l’odeur d’une fleur aux premiers jours de printemps où le goût d’un baiser sur les lèvres, la grâce d’une enfant qui court en riant. Je ne sais si j’ai hâte d’être projeté dans ce monde-là. J’ai compris la Syrie, la Corée, le type trop orange et même l’autre taré de russe.

Je ne sais pas si c’est ce monde-là qui m’empêche de donner le feu vert de ce qui deviendra pour elle la journée la plus douloureuse de sa vie; je ne sais pas ce qui me retient, si c’est ce monde qui m’attend là ou au contraire si c’est ce qui ne m’attend pas…

Me voici donc la tête en bas dans une femme.
Une femme.
Pas une mère. Pas ma mère : une femme qui ne veut pas de moi, qui cohabite depuis des mois avec un être qui croît en elle et qui évite d’y penser, de lui parler, de le toucher. Une femme qui a pris sa décision et qui s’empêche de m’aimer alors que tout son corps lui crie de lâcher prise. Une femme qui évitera de me regarder lorsqu’elle m’aura expulsé de cet endroit où rien ne peut m’agresser, mise à part la musique métal et le bruit du marteau piqueur du bout de la rue.

Alors, je ne nais pas.
Je fais traîner le truc vous comprenez. Une semaine qu’elle aurait dû accoucher, je sais bien que je ne vais plus pouvoir reculer, que peut-être même on viendra me chercher si je ne manifeste pas la moindre volonté d’arriver, de pointer le bout de mon nez. Mais qui voudrait naître ainsi dites-moi ? Qui voudrait naître dans un monde un peu pourri, sans les bras de l’amour pour vous accueillir, qui ?

Pas moi.
Je ne suis pas officiellement un des vôtres encore, mais dites-vous bien que je ne suis pas fou.  Je suis dans une coque de noix, la tête en bas et je ne nais pas.

Atelier d’écriture :
Ecrire à partir de la phrase INCIPIT d’Ian Mc Ewan
dans son roman « Dans une Coque de Noix »
Me voici donc la tête en bas dans une femme.

Photo par Claire Larquemain
Arca Café Saint-Lô

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5 réflexions sur “{Texte} La Tête en bas

  1. Intéressant.
    Amusant de traiter ce thème le week-end de Pâques en tout cas (l’œuf, la résurrection, tout ça tout ça…).
    Pour le reste, oui en effet, le monde dans lequel nous vivons n’est peut-être pas le meilleur possible mais à nous, d’une part, de le changer (ne serait-ce que pour nous-mêmes). Et d’autre part, à nous de prendre tous les bonheurs, aussi petits soient-ils, pour les vivre, en profiter et en faire profiter ceux que nous aimons.

    Aimé par 1 personne

  2. Et bien voilà, j’ai les larmes aux yeux : d’abord après avoir lu le texte de ce dimanche, puis celui sur les grenades qui m’a entraînée à réécouter Nicole Feroni à propos de la Syrie.
    Mais croyons en l’homme et espérons un monde meilleur pour tous.
    Les mots peuvent beaucoup.
    Merci pour ces lectures.
    Patricia

    Aimé par 1 personne

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