Je ne vous présente plus le prix Jean Follain, prix littéraire ayant lieu dans la Manche, en Normandie.
Pour la faire courte – vous trouverez plus d’info sur le déroulement du prix dans ce billet – ce prix est organisé par la médiathèque et la ville de Saint-Lô tous les deux ans et récompense un auteur de prose poétique et son éditeur. La particularité du jury c’est qu’il n’est composé que de non professionnels, mais son président est issu du monde littéraire. Cette année le grand Alexis Gloaguen dont l’actualité sera chargée prochainement chez Maurice Nadeau.
J’ai eu la chance pour la deuxième fois de faire partie d’un jury très éclectique : retraités, enseignant, lycéennes, attachée de presse… Et nous avons délibéré pendant un peu plus de trois heures un samedi après-midi. Nous avions lu (voir relu) les neuf livres finalistes, entre juin et septembre : la liste est consultable ICI
Ce que j’ai préféré :
> Le premier tour de table lorsque chacun a donné les deux ou trois livres qu’il a préférés : je crois que personne n’avait le même classement. Hey oui ! Aimer un livre, un style d’écriture est bien affaire de subjectivité. Sans aucune surprise, le débat allait être épicé, dans le respect du point de vue de l’autre bien évidemment 🙂
> Me laisser surprendre par le point de vue de l’autre : « Ah oui ! J’avais pas vu ça comme ça ». Échanger avec les membres d’un jury à propos de livres qu’on a aimé ou non, c’est vraiment un moment enrichissant et intellectuellement nourrissant.
> Redécouvrir les mots, dans la bouche d’un autre. Pour convaincre nos acolytes, nous n’hésitons pas à lire à haute voix des passages qui nous ont marqués et il n’y a pas à dire : la musique des mots (indispensable pour moi en prose poétique) se révèle bien mieux dans l’oralité.
> Sentir ce truc dans mon ventre, lorsque je vibre pour mon recueil préféré, encore en lice : une voix, deux voix, trois voix… Mes arguments ont-ils payés ? Ai-je convaincu les autres ? Est-ce que ça suffira pour remporter le prix ?
> Rire ! Parce que trois heures à cogiter et parler, c’est fatiguant alors on ne rate jamais l’occasion de dire une bêtise, de taquiner son voisin, de jouer sur les mots. Notre jury était particulièrement joyeux et convivial 😉
Ce qui est moins évident :
> La déception lorsqu’on réalise que son favori n’a pas été choisi à l’unanimité. Elle contrebalance avec le bonheur de ceux qui ont défendu le gagnant. Défendre un livre est affaire de conviction et de passion. Je pense qu’on ressent même de la tristesse pour l’auteur qui ne sera pas récompensé.
> Mesurer ses propos, ne pas être trop virulent. Ben oui ! On est convaincu de la qualité du livre qu’on défend, alors on s’enflamme, on s’enflamme ! Heureusement l’ouverture d’esprit de notre jury était telle que personne ne s’est disputé. Et puis, on boit un coup après, on trinque et on se dit « sans rancune » 🙂
Quelques mots sur les livres que j’ai aimés :
Le niveau était bon cette année et j’ai apprécié mes lectures. J’aimerais partager avec vous quelques découvertes, que je vous encourage à lire 🙂
> Bleu de Travail de Thomas Vinau chez La Fosse aux Ours
Un recueil d’impressions fortes, pas forcément liées entre elle. Thomas Vinau n’est pas un inconnu dans le milieu et on retrouve la délicatesse de sa plume sensible dans ce très joli ouvrage. Voici quelques micro-extraits :
« Dans nos yeux, naît le brouillard. »
« Je suis l’après de la bataille. »
« C’est l’odeur du jour qui se lève »
« Les escargots dévorent le monde. »
« J’irai me camoufler dans ces silences de pluie qui traînent parfois au fond de tes yeux. »
« Mes mots qui soufflent sur tes mains rouges. »
> Les Equinoxiales d’Armelle Leclercq chez Le Corridor Bleu
Un voyage au Japon, pays aux codes énigmatiques. L’auteur nous offre une palette de ses sensations in situ, avec humour parfois, réalisme (ses textes contemplatifs de la nature sont très beaux) et engagement puisque la fin du recueil est dédiée à ce qui a été perçu de la catastrophe de Fukushima sur place. Je retiendrai de belles tournures :
« Quand tambourine la saison des pluies »
« […] battant la surface écumeuse des nuées »
« En totale symbiose avec les contractions du monde »
« […] qui jouent à tombe-mal-méridien »
« La grande respiration des arbres, leurs troncs nus à embrasser »
> Je d’un accident ou d’amour de Loïc Demey chez Cheyne
Ma plus belle découverte cette année. C’est certainement le livre que je vais offrir aux gens que j’aime. Le récit d’un homme bouleversé par l’amour et qui en perd le verbe. Pas la parole non mais bien le verbe. Vous comprenez ? Le livre est construit sans aucun verbe et malgré ce grand absent, la lecture est fluide et facile. Les groupes nominaux se conjugent et un autre langage né. Tout est alors plus percutant, plus fort et on perçoit d’autant plus l’émotion qui traverse cet homme amoureux. Jugez plutôt :
« Je, Hadrien. Et Adèle en tête. Elle m’obsession. Ses grands yeux verts dans mon regard me folie, ivresse d’Adèle. «
« La pièce se sombre, je m’orage. La fermeture éclair. La robe, tonnerre. Sa tunique en l’air et ses dessous à terre. La rue se lune, le ciel se nuit. Je la nue.
Elle me peau, je la pulpe des doigts. On s’épiderme. »
Non mais vous ne trouvez pas ça GENIAL ? Oui, du génie ! Voilà ce que nous offre cet auteur. Loïc Demey est prof de sport et signe ici son premier livre. Nul doute qu’il écrira d’autres recueils de qualité ! 🙂
> Farigoule Bastard de Benoît Vincent chez Le Nouvel Attila
Un livre difficile à résumer, à expliquer, à faire aimer. Le mieux c’est de l’ouvrir et de lui laisser une chance. Pour ma part, je n’étais pas rentrée dedans à la première lecture et puis, en écoutant mon amie Janine comparer certains passages à du Giono, me relire certains extraits, j’ai accepté de le relire et je n’ai pas été déçue.
Farigoule, C’est l’histoire d’un homme, berger dans les montagnes de la Drôme, faisant l’expérience d’une extrême solitude et qui pour une raison anecdotique, se voit partir à Paris. Ce livre est très complexe, avec son propre langage, et il a demandé je pense beaucoup de travail à son auteur, botaniste.
Cet avis le résume plutôt bien : « Une épopée montagneuse, un récit qui nous aventure dans le paysage, de minerais et de végétaux, un roman qui joue constamment avec les attentes du lecteur et qui cherche à les orienter différemment. L’expérimentation linguistique fait tout le charme de ce premier roman, et place le texte dans une forme d’intemporalité. » Nikola, radio Paludes
Les extraits que j’ai notés :
« Voix perforée », « lacé son destin », « il entreprend l’ascension de cet homme » « [les pieds] se frottent au monde qui n’est pas rond »
« Je te laisse là devant ce terrain nu. Tu peux semer ou piétiner, peu m’importe au fond. Ce qui est passé est suffisant. Ce qui est passé suffit : seul le vécu nourrit »
« Je suis ce qui reste des pelures de la nuit »
« Nourrir de noir le regard »
Bon et vous me direz : MAIS QUI A GAGNE LE PRIX AU FINAL ?
Ah, ah ! Réponse vendredi prochain 🙂 L’auteur et son éditeur viennent ce 30 septembre à 20h30 pour rencontrer les saint-lois.
Un chouette moment d’échange en perspective, ça je vous le dis !
Voyant que la ville de Saint-Lô a diffusé le nom du gagnant, je me permets de vous le donner également en avant première : il s’agit de Benoît Vincent, auteur du superbe récit de Farigoule Bastard. Un livre minéral et rugueux, qui sent le thym et le vide, l’amour perdu et le goût des bêtes…
Ca doit être une expérience intéressante et enrichissante Claire!
Certains mots font vibrer en effet. Merci pour ce partage. Par contre autant je trouve que le style de Loïc Demey est excellent, autant j’aurais du mal à lire un livre entier sans verbe – pourquoi pas essayer…
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Je t’assure que ce livre se dévore et de plus, il est assez court 🙂 bise Marie Bon week-end
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