
Il dit « je t’ai lu hier et je ne viens pas te dire « tiens bon tu verras », trop facile quand on est loin, à même pas pouvoir mettre la main sur l’épaule… »
Il ajoute « on a envie de te dire quelque chose que t’aimerais tu sais, quelque chose qui réussirait à te faire lâcher un sourire de plus, sans effort, toi qui en balances plein dans la journée, des sourires… »
Et puis il raconte qu’il faudrait jouer les dompteurs d’aube, se lever à 6h15, il faudrait mettre une laine sur son tissu de nuit, sortir de la maison, les pieds dans l’humidité de l’espoir, il faudrait plaquer sa chemise sur le haut de ses cuisses frissonnantes quand, le vent embrasserait doucement ses genoux, il faudrait regarder le ciel de l’est et simplement attendre. « Tu me diras si je mens, il y aura des roses pour toi et pour toi seulement… ». J’aime qu’il me dise ces mots.
Je ne suis pas du matin. Je m’extirpe difficilement de la chaleur de mon édredon et je me cherche tous les prétextes du monde pour créditer ce mouvement pour lequel je ne m’ajuste pas.
Sous le grand cerisier de Janine, je me suis faite surprendre. Elle y dressait sa petite table de fer forgé lorsque je suis arrivée. Une nappe, en son centre une brassée de dahlias roses, déposée là comme un baiser, deux chaises et ces cinq minutes seulement que je m’étais imaginer accorder. Et puis dans la quiétude de ce jardin hors du temps, je me suis assise et Janine s’est aussi assise devant moi. Elle me parla une heure durant, de livres, de la Vieille de Farigoule toute taiseuse dans sa cuisine, de l’Espagne, de Lætitia. Et ses yeux brillèrent et m’emportèrent une heure durant dans une pleine conscience inattendue. La grande respiration des arbres, ces mots qui soufflaient sur mes boîtes et mes murs… Alors que tout en moi était au bord de lui-même, en équilibre, je me surprenais alors, arpentant le jardin et désormais, posée en moi-même. Enfin, je reprenais sur moi un territoire perdu. Rentrant chez moi, je déposais sur la table de la cuisine, une citrouille d’un orange flamboyant, une salade croquante, quelques pommes, un petit bouquet de fleurs, une poignée de noisettes. Toutes les pièces étaient là, comme des morceaux de moi qu’il me faudrait rassembler.
Plus tard, je me donnais rendez-vous avec les éléments naturels. Il ne serait pas 6h15 du matin, mais 20h35 le soir et la marée serait grande. 111 sans doute. Il nous faudrait mériter ce moment. Marcher longuement avec un vent marin de face, avec en ligne de mire la Merveille de l’Occident. Il nous faudrait y parvenir avant la renverse. J’ai beau avoir la chance de voir si souvent, cette silhouette découpée sur le ciel, elle me fait toujours ce même effet.
Saisissant. Le génie des hommes, posé là sur un rocher, leur intelligence au service de la beauté-même. Et si peu de démonstrations contemporaines désormais. Gâchis. La mer montait et nous progressions sur le tablier de bois. Les flots embrassaient les piles de la passerelle, légère, aérienne. Un kayakiste attendait les vagues pour les surfer, un petit voilier blanc mouillait à quelques mètres. Au loin, le soleil crachait ses dernières gerbes de lumière par delà la Bretagne et un ciel de traîne rose-oranger, jouait le bouquet final de ce feu d’artifice en rien artificiel.
Enfin nous trouvions la nuée de curieux à l’extrémité de la passerelle. Et nous deux, parmi eux. Peut-être étions nous une centaine debout là, à observer les flots lécher de plus en plus ce qu’il restait de visible de notre chemin de béton et de bois. Mais j’étais seule au monde pourtant, saisie sur place, brassée par les éléments. Il était 20h35 et comme prévu, l’eau avait coupé tous liens entre le rocher et le continent. Le Mont Saint-Michel avait retrouvé son insularité. Vaincus par tant de splendeur, nous ne pouvions que nous incliner et regarder ébahies, les autres personnes de l’autre côté, amassées sur le haut des tours, des remparts et de la terrasse de l’Ouest. Elles nous regardaient aussi, tout autant ébahies et semblaient nous saluer de leurs flashs d’appareils photo. Puis un cri, puis deux, puis d’autres me réveillèrent de ma contemplation. Les vagues se montraient plus virulentes, frappant les piles avec plus de force. S’écrasant sur les lattes de bois du tablier, des bouquets de leur écume parvenaient à nos chaussures. Les touristes les plus aventureux avaient désormais de l’eau jusqu’aux chevilles. Des enfants se mirent à sauter à pieds joints à chaque vague, comme on sauterait dans les vagues mourantes sur le bord d’une plage. Des rires fusaient, la fête comme la nuit étaient désormais bien là. Je t’ai regardé et tu m’as souri, et nous étions bien là et j’étais là avec toi. Ici. En suffisance, nos pieds ancrés dans ce monde qui n’est pas simple mais pourtant si simplement beau. Et il suffit de voir. Et je te vois. Et il suffit de se poser en soi et de commencer à se rassembler, pour se rassembler. Et je me rassemble. Et je vois les roses. Je ne suis pas du matin mais du crépuscule, et je sais peu de choses comme j’en sais tout à la fois beaucoup.
Je sais que le bonheur est dans la contemplation.
Que la fulgurance de la simplicité des éléments naturels nous raccorde à notre juste évidence.
Je vois les roses et tout est clair.
A ces amis qui se reconnaitront, merci.


Merci de nous faire rêver !
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Merci à vous Bernard de lire
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Très joli texte !
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Merci beaucoup, je découvre ton blog : il me plaît beaucoup 🙂
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Je valide. Regarder le soleil se lever à l’orient, « les pieds dans l’humidité de l’espoir », c’est magique et c’est le début du travail pour rassembler ce qui est épars…
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🙂
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magnifique texte ma Claire…
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Merci ma Caro ❤
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Très touchant, surtout qu’ayant — comme il est aisé de s’en douter — un privilégié rapport avec ce lieu tellurique.
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😉
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