{Texte} Le Maçon

A photo by Martin Wessely. unsplash.com/photos/sX4lxBWV0-A

Je suis maçon.
Je monte des murs.
Briques ou agglos, truelle et mortier.
Des murs, rustiques mais solides,
des murs pour cloisonner, protéger.
Je les voudrais les plus épais possibles
et hauts, très hauts, infranchissables.
Les cloisons, c’est mon obsession.
Les boîtes aussi. J’ai plusieurs boîtes.
Je les choisis d’acier ou de fer
pour que rien n’en sorte
jamais.
Une boîte par tristesse passée.
J’y entasse ce qui blesse et déchire,
ce qui dévaste et  ne nourrit plus.
Ma dernière acquisition est une lourde malle de voyage,
énorme, entravée d’une lourde barre cadenassée.
J’ai jeté la clef.
Dans cette malle, j’ai rangé les sourires morts décrochés des murs de cette maison que j’ai dû vendre.
J’ai rangé aussi les souvenirs capiteux, dérisoires d’avoir été si peu respectés.
Dans cette malle, il y a bien sûr ces valeurs auxquelles je croyais,
naïvement.
La loyauté, celle qui s’est lâchement barrée. Mes idéaux de jeune fille jusque là épargnée par la houle de la vie; mes idéaux allègrement piétinés, dans cette malle tout y est.
La persévérance elle, je ne la relègue pas. J’en ai toujours eue pour deux, je la garde pour moi.
Une lourde malle pour contenir encore les années à jamais enfuies, misées sur le mauvais cheval. La fatigue, une intense fatigue, les heures épuisées à cultiver seule un jardin qui ne survivrait à rien, à me casser le dos sur les mauvaises herbes et remettre du gravier; dedans la malle, ma peine perdue, pour rien.

J’aime les boîtes. Je n’ai pas d’autre choix que de les aimer. Je range, je referme, je remise et je n’y reviens plus.
Ils disent « tu avances, tu es forte »; j’ai des boîtes et je bricole des pans de murs. Voilà ce que je suis. Noël gris comme invincible été, femme-confettis, bâtisseur de remparts, je protège mon coeur-poudrier comme je peux. Il n’y a guère de force ou de dignité dans tout cela. Je pleure, je rugis tout autant et me noie à la première lézarde, à chaque décloisonnement. Mécanique archaïque, construction contre décomposition, horizon.

5 réflexions sur “{Texte} Le Maçon

  1. Merci d’avoir préservé la persévérance qui rime avec espérance. Le texte est très beau et je ressens bien en le lisant cet espèce d’enfermement avec ces murs invisibles et si puissants, si difficiles à démonter pour accepter l’ouverture des portes ou des fenêtres qui permettront de regarder autrement les choses et les êtres; quand le désir d’infini et de pureté s’est adouci en nous. Pour moi, il est si bien écrit que cela me donne envie de le lire à haute voix; il est si bien écrit que nous entendons, au delà de ton mur, ton murmure pour continuerà croire aux cadeaux de la vie malgré tout . JF

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