« Excusez-moi… Auriez-vous un stylo ?
– Oh… Oui… Je dois avoir ça… »
Elle se mit à fourrager dans son sac à main. Elle avait justement utilisé son stylo cinq minutes plus tôt et elle savait d’avance que cinq minutes, ce serait le temps qu’il lui faudrait pour retrouver cet objet; mais trop tard elle avait dit oui à l’homme, elle ne pouvait pas abandonner cette recherche exaspérante, à l’intérieur de ce fichu sac qu’elle procrastinait toujours à ranger. Changer de sac pour un plus petit : ça aussi elle remettait au lendemain. Elle disait toujours : « plus le sac est grand et moins on trouve les choses », citation qui se vérifiait présentement tandis qu’elle sentait dans sa nuque le regard de cet homme, attendant patiemment son stylo. C’était un samedi matin. La ville était dans son effervescence hebdomadaire : celle des samedi de marché. Centre ville bondé de voitures, personnes conduisant comme des pieds ou stationnant leur véhicule avec impertinence ou stupidité, odeurs de saucisses grillées. Elle même avait tourné un moment avant de finalement garer sa voiture devant une borne « 15 minutes maxi ». Elle avait haussé les épaules en claquant la portière « bof comment sauraient-ils… » et puis elle avait vu la couleur de la borne changer, passer au vert, enclenchant un compte à rebours qui la stressa brusquement comme celui d’une bombe à retardement. Quand elle passa la porte d’entrée automatique de la poste et qu’elle aperçut la longue file d’attente au guichet « Retrait colis », elle soupira découragée. Elle hésita entre tourner les talons et tenter tout de même sa chance. Elle n’était guère le genre de femme à baisser les bras. Bien que les 15 minutes imposées par la borne de parking ne semblaient pas suffire pour venir à bout de la file de personnes grognantes et grisonnantes – Pourquoi faut-il que les files d’attente soient d’ailleurs toujours nourries de personnes âgées qui n’ont rien d’autre à faire que patienter et ce dès les heures les plus matinales ? – elle avait prit sa place dans la queue.
Elle trouva le stylo dans son sac et le tendit à l’homme de couleur noire qui tenait entre ses mains une enveloppe à bulles. Elle saisit rapidement en un coup d’oeil son allure. Il était grand, les cheveux ras, des lunettes aux montures très épaisses sur un nez épaté, des baskets bien trop blanches aux pieds.
» Classe ! s’exclama-t-il en saisissant le stylo entre ses deux doigts fins. »
Elle se demanda si on jugeait l’autre sur le type de stylo qu’il possédait. Il est vrai que celui qu’elle avait trouvé ne ressemblait pas aux billes publicitaires qui ne crayonnaient plus sans même qu’on les ait une seule fois utilisés. Son manteau noir et laqué ainsi que les liserés dorés lui donnaient des allures de stylo de médecin généraliste. Elle eut comme besoin de justifier la présence d’un aussi joli stylo dans son son sac à main.
« Oh… Étrennes de la pharmacie… Voyez…écrit dessus… »
Il sourit et se mit à noter une adresse sur son enveloppe, invitant la jeune femme à passer devant lui. Elle se retrouva ainsi derrière une vieille dame bavarde aux besoins postaux visiblement complexes. L’homme continuait à s’investir pleinement dans son travail de rédaction sans lui prêter plus attention.
« Vous, vous allez me piquer mon beau stylo, osa t-elle dans un sourire »
Il rit : « Exactement. » Puis reprit : « Vous habitez Agneaux ?
– Non pas du tout , lui répondit-elle. La femme âgée en avait encore pour long et elle, elle n’était pas contre occuper ce temps d’attente irritant. Cet homme était d’ailleurs la première personne à qui elle parlait aujourd’hui. Elle-même n’avait pas encore entendu le son de sa propre voix.
« Alors pourquoi votre pharmacie est à Agneaux ? s’enquit-il aussitôt en montrant l’adresse estampillée sur le stylo.
– Parce que j’aime cette pharmacie, le personnel y est attentionné…
– Ah… Et vous habitez où alors ? demanda t-il
– Par là…
– Je vois… Mais dites un peu… Combien de temps devrais-je attendre devant cette pharmacie pour espérer vous revoir ? Trois ? Quatre jours ? »
Elle se mit à rire. La manière dont cet homme l’abordait était étonnante. D’habitude elle avortait sur le champ toute sorte d’approche. En général les hommes étaient maladroits, lourds, prévisibles, grotesques dans leur approche. Elle trouvait que celui-ci se donnait du mal, en ce samedi matin, dans la poste saturée de Saint-Lô. Et puis, c’était si inattendu que quelqu’un semble s’intéresser à elle, le seul jour de la semaine où elle sortait sans maquillage, habillée des premiers vêtements qui traînaient ce matin-là dans sa salle de bain. Alors elle décida de ne pas contrarier tout de suite la tentative de contact de cet homme. Elle répondit l’air détaché :
« Quinze jours au moins !
– Ah oui ! Au moins une chose est sûre : vous n’êtes pas hypocondriaque… »
Elle rit. Hypocondriaque. Mot compte double. En si peu de temps d’échange verbal, il était parvenu à placer un terme compliqué et ce, dans le bon contexte et prononcé d’un trait sans que ne butte sa langue une seule fois. Cet homme marquait des points et méritait cette disponibilité inhabituelle qu’elle lui concédait.
Il retourna son enveloppe et se mit à inscrire son adresse d’expéditeur.
« En tous cas, vous êtes bien long à écrire sur votre enveloppe, se moqua t-elle alors.
– C’est vrai, acquiesça-t-il dans un sourire. »
La vieille femme devant eux quitta enfin le guichet. Elle prit sa place et tendit à l’employée le papier laissé par leur facteur dans sa boîte aux lettres deux jours plus tôt.
« Il me faudrait une pièce d’identité, lança la femme en se retournant vers une caisse d’enveloppes en attente de destinataires ». Pendant qu’elle cherchait, une autre guichetière certainement prise brusquement d’un élan de conscience professionnelle à la vue d’une file d’attente aussi fournie, rejoignit le guichet et accueillit l’homme de couleur noire, qui se posta alors juste à côté de la jeune femme blonde. Il lui tendit son stylo.
» C’est pour l’étranger ? lui demanda la femme sans même le saluer.
– Non La Guyane, répondit-il pendant qu’elle pesait l’enveloppe.
– En lettre rapide ou normale ? sembla t-elle aboyer.
– Normale… dit-il en tournant la tête vers la personne que désormais il convoitait. Puis-je vous demander votre prénom ? osa-t-il.
Elle baissa les yeux et sans doute ses joues se mirent à rosir tendrement. Elle hésita quelques secondes. Lâcher son prénom reviendrait à accepter d’aller plus loin dans cette première prise de contact. En avait-elle envie ? Elle ne pensait pas. Or se sentir jolie dans le regard d’un autre lui faisait du bien. Et puis il avait le mérite de lui avoir parlé de manière plutôt recherchée…
« Claire… Mon prénom c’est Claire répondit-elle alors sans oser poser ses yeux dans les siens. Il rebondit aussitôt sur cette réponse en lâchant avec une grande assurance :
– Moi, c’est Sombre.
– Oh… Je ne trouve pas votre enveloppe, se plaignit la guichetière numéro un. »
Tout d’abord interloquée, se demandant si elle avait bien compris, la jeune femme blonde éclata alors de rire, à la grande surprise des badauds poireautant dans le hall de cette poste.
« Sombre. Claire… Joli contraste… ajouta l’homme ». Il paya la guichetière numéro deux et se dirigea vers la sortie en précisant à la jeune femme qu’il l’attendrait dehors. Elle jeta un coup d’œil à la pendule accrochée au-dessus du guichet « retrait-colis ». L’employée cherchait toujours, désormais assistée de sa collègue. Elle osa les interrompre doucement.
« Excusez-moi mais c’est un peu long pour une simple enveloppe… J’occupe une place 15 minutes et je vais être en retard à mon rendez-vous… »
Au bout de longues minutes encore, elles mirent enfin la main sur l’objet. Elle les remercia , glissa l’enveloppe dans son sac à main « c’est quand même utile un grand sac, pensa t-elle » et se sentit soulagée d’être enfin libérée . Évidemment, elle tomba sur l’homme en sortant de la poste.
« Je peux vous redemander votre stylo ?
– Encore ! s’étonna t-elle »
L’idée de devoir refouiller dans son sac ne la réjouit guère mais elle s’exécuta pourtant.
« Oui, j’aimerais noter votre numéro de téléphone maintenant… ajouta t-il. »
Elle ne sait pas pourquoi, elle tendit de nouveau l’objet et crachat machinalement un par un les chiffres qui composaient son numéro de téléphone. Elle sautillait sur place, tenaillée par le besoin de partir en courant pour être à l’heure à son rendez-vous et éviter une amende pour son stationnement. Elle n’était pas sûre de donner son numéro pour les bonnes raisons.
« Arrêtez de sauter comme ça… lui intima-t-il
– … on dirait que j’ai envie de faire pipi hein ? enchaîna-t-elle.
– Oui, dit-il dans un éclat de rire.
– C’est que je suis pressée…
– Marchons alors pour discuter, proposa t-il en lui rendant son stylo.
– C’est que… Ma voiture est juste là…
Ils se mirent à marcher.
– Ok. Claire. 33 ans. Vie compliquée. »
Il rit encore : « Ça c’est du speed-dating ! «
Il arrivèrent devant la voiture de la jeune femme. Elle le salua très rapidement, pressée de reprendre sa vie bousculée et te tenter de rattraper le retard déjà pris. Avant de fermer la portière de sa voiture, elle osa tout de même : « Et alors ? Votre prénom ? »
Énigmatique, il répondit : « Sombre. » et partit.
C’est génial ! et très bien mis en mots !
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Merci toi 😉 bise
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J’abonde dans le sens de Sweety : très mignon. Et puis ce monsieur a de la répartie en tout cas, c’est déjà ça non ?
En attendant, l’image des sautillements devant la porte de La Poste pendant qu’il note le numéro, ça c’est énorme.
Tu nous tiens, bien entendu, au courant s’il appelle !
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Ah Ah Wen 🙂 bisous
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Mignon!!
certaines rencontres même sans lendemain donne du baume au cœur ❤
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E-Xa-CTE-MENT 🙂 bisous Miss
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Un Guy Georges volubile! Ca se sens!
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Va Savoir
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