Hier au soir, son cœur à elle chantait la pluie. Il murmurait « tu ne le verras pas, c’est fini, il ne veut pas de toi. »
Elle avait tant espéré aujourd’hui. Le voir. Même un bref instant. Et lui, il laissait le silence s’égrainer entre eux deux, ne sachant plus quoi faire de leur relation pourtant forte et profonde.
Elle ne voulait pas attendre. Ni l’attendre lui, ni attendre quoi que ce soit de qui que ce soit. Plus jamais. Elle voulait rester libre. Néanmoins elle se battait avec elle-même à ce sujet. Car elle espérait malgré tout l’impossible, refusant d’admettre qu’espérer était tout de même poireauter. « Peut-être surgira t-il lorsque je m’y attendrai le moins, et dans ma vie, et sur le seuil de ma maison » pensait-elle tout le temps. Et ce soir-là elle s’affaira à quelques tâches ménagères pour occuper son esprit à autre chose. 19h on sonna et l’adrénaline parcourut son corps. Un regard dans le miroir de l’entrée, elle réajusta ses cheveux, se trouva négligée, haussa la épaules et ouvrit la porte. La déception apparut alors devant elle, incarnée par une petite femme cherchant une adresse. « Je suis nouvelle dans le quartier », répondit-elle, et elle congédia l’égarée. Abattue elle décida de prendre un bain très chaud. Les genoux pliés sur sa poitrine, elle se mit doucement à pleurer, laissant la parole libre à son cœur déçu. Il ne l’aimerait donc jamais.
Lui pendant ce temps participait à la réception annuelle organisée par le PDG de son entreprise à l’occasion des fêtes de fin d’année. Comme chaque année, son chef de service incitait ses employés essentiellement de sexe masculin, à boire et à festoyer gaiement. La tablée d’hommes était particulièrement bruyante. Comme tous, il s’était aviné pour ne pas contrarier son chef qui remplissait les verres trop brièvement vides. Bien qu’être saoul n’était pas forcément son truc, il appréciait cet instant rare de lâcher prise où tout semblait enfin simple et évident. Il se disait qu’avec elle et leur relation compliquée, il ferait mieux de déboucher plus souvent une bouteille de temps en temps : il se ferait bien moins de nœuds au cerveau. Ça le fit sourire.
Les hommes en attendant les desserts se mirent à s’attraper par les épaules et à entonner des chants festifs et gras. Ils riaient maintenant fort en se tapant sur les cuisses, les visages rougis et l’haleine chargée. Il se figea soudain en passant en revue toutes ces figures hilares. Étaient-ce ces chants vulgaires ? L’alcool qui tournait mauvais ? Il n’était tout à coup plus à la fête. Il n’eut alors plus qu’une seule envie : quitter immédiatement le restaurant, la voir elle, là maintenant, retrouver sa délicatesse, ses mots choisis et son esprit vif. Il prétexta une urgence familiale, remercia chef de service et directeur, puis se retrouva sur le trottoir d’une ville inondée de lumières bleutées et clignotantes. Il était hors de question de reprendre la voiture dans cet état et un taxi ne lui aurait pas laissé le temps de se dégriser. Aussi décida t-il de marcher dans la nuit. L’air était incroyablement doux pour décembre et la ville parée des lumières de Noël semblait métamorphosée. Sous ses pieds, une autre cité et au-dessus de sa tête, un ciel piqué d’une multitude d’étoiles. Il crût même avoir l’impression de humer ces odeurs capiteuses qui embaument les nuits d’été. Étrange. Où se trouvait-il vraiment ? Était-ce bien Noël dans quelques jours seulement ? Il abandonna ses questions aux pavés, respira profondément et s’émerveilla de tant de beauté et de simplicité. Il se sentit soudainement rempli d’une joie indéfinissable, et, se surprit à accompagner ses pas de drôles de petits sons, nés du fond de sa gorge et s’amplifiant à chaque enjambée, résonnant bientôt dans sa cage thoracique tels de longues incantations de chaman d’Amérique latine. Tout son corps était comme habité. Lui-même lucide malgré sa griserie, se demandait bien ce qui lui arrivait. Tout en lui désormais était transporté dans cette étrange transe. Il traversa la ville de part en part en chantant de la sorte et marcha des heures entières jusqu’à l’épuisement.
Il n’atteignit jamais sa maison à elle. Elle, elle s’enveloppa d’une chaude couverture et puis de solitude aussi, finit par s’endormir au petit matin. Résignée.
On le retrouva le lendemain assis en tailleur et torse-nu sur les remparts qui surplombent la ville. L’employé communal lui demanda ce qu’il faisait là. Il lui répondit simplement qu’il attendait le lever tendre du soleil sur ce tout premier jour où enfin il se sentait amoureux. Il ne savait pas qu’elle s’était résolue à ne plus l’attendre comme à ne plus l’espérer. Il l’avait perdue et sans doute s’était-il éveillé au fondant de la vie bien trop tard…
Texte écrit dans le cadre d’un Atelier d’écriture, bibliothèque de Saint-Lô. Thématique donnée : le chant.
Tombe-t-il amoureux de cette femme ou tombe-t-il amoureux de la vie? Car dans ton texte, il y a une part d’univers (étoiles piquetées dans le ciel, lumières de la ville, tendre lever de soleil,douceur d’un hiver trop doux…) J’ai plutôt l’impression qu’il ressent son lien avec le monde d’une façon si forte, si pressante qu’il se retrouve en haut des remparts. Du coup, a-t-il vraiment loupé le rendez vous ? En tout cas, j’espère que l’auteure de ce texte passera de bonnes fêtes. Et au plaisir de découvrir de nouveaux textes en 2016
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L’éternelle optimiste que je suis dirait que tu as raison. Que la chute n’est pas aussi négative qu’on le croit, qu’il n’a pas tant loupé son rendez-vous mais que le chemin qu’il a pris lui permettra de la retrouver… Oui c’est ce que je dirais, moi qui croit tant à la vie, à l’amour et aux opportunités du monde… Mais bon écrire, ce n’est pas forcément donner les clefs : chaque lecteur interprète à sa manière. Merci Jean-François pour ta manière à toi d’interpréter fidèlement mes écrits et merci pour ton soutien. Tu es une belle personne. Bise et belles fêtes à toi
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J’aime beaucoup!
L’éternelle incompréhension entre les hommes et les femmes!
Très bon texte! 💋
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Les hommes viennent de mars c’est ça ? 😂
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