Torrevieja – Jour 8
Ici tout s’est construit.
Notre enfance mais pas que.
Torrevieja, el Chaparral, l’achat d’une toute petite maison vide il y a 28 ans.
Numéro 10, un bungalow de béton blanc posé le long d’une ruelle au carrelage rose, face à une maison-couloir.Trois couvertures de laine, une malle en fer, les premiers objets du tournant de notre vie.
La pinède, les lagunes de sel rose, rien alentour alors. La chaleur accablante depuis toujours, les ventilateurs ronronnant dans les chambres déjà.
Notre Eldorado, ciselé toutes ces années par deux rêveurs en mal d’évasion. Nos parents.
Notre enfance l’été, la nuit dans les ruelles, la liberté, la vraie.
Le goût des choses alors. Revenir ici chaque année pour le retrouver. Ressentir les températures insupportables dès le lever puis, le plaisir de se plonger dans les eaux de la piscine ou de la mer pour se rafraîchir enfin. Prendre vraiment la mesure au moment présent des bonnes choses, ces choses vraies et essentielles. Plus d’artifices. Être ensemble. Se donner les moyens de ne rien faire, de ne vivre que le présent. Se délecter de tout, de la beauté du monde, de sa simplicité. Ne plus penser à hier, aux souffrances passées, ni à demain, ne plus projeter. Être à part, ailleurs, ici Torrevieja. Être libre, comme hors du temps.
Tout s’est construit. Les résidences balnéaires se sont étendues, la nôtre semble presque antique. De grands centres commerciaux ça et là, l’arrivée des burgers américains, un eldorado pour de nouvelles personnes. Un monde qu’on a vu changer comme notre propre corps. Les mêmes sensations cependant. Toujours cette douceur de vivre, ce lâcher prise cette pleine-conscience.
El Chaparral, Villa Laguna. La piscine, le centre névralgique, la place publique, même 28 ans plus tard. Un large bassin qui sert de creuset culturel. Des vacanciers de tous horizons. Leurs corps qui se baignent tandis qu’à la surface de l’eau glissent les idiomes. Anglais, espagnol, français, flamand : échanges chlorés faisant oublier que chacun a un autre pays, d’autres frontières. Autour de l’eau, chacun sa place pour son bout de serviette. Demeurent certaines habitudes culturelles. Midi : arrivée des Français et Espagnols après leur petit-déjeuner tardif. Les Anglais reconnaissables à leur teint de lait ou à leurs coups de soleil cuisant, viennent quant à eux de luncher. 14h30 : déjeuner pour ceux qui sortent de l’eau. Anglophones tiennent leurs positions puis ramassent transat’ et crème solaire au tea-time. Retour des langues latines vers 19h après la sieste, quand l’air enfin se fait plus léger. Baignade jusqu’au coucher du soleil lorsque passent les Anglais endimanchés et parfumés pour un dernier verre et un air de karaoké.
Tout se construit. Les maisons, les enfants qui deviennent à leur tour adultes, mais l’essence même de ce lieu, ce qui a un jour poussé nos barques jusqu’ici, cette âme-là ne change pas.
Je suis toujours cette gosse qui sautait dans l’eau, imaginait des marelles dans les dalles de carrelage, tapait du pied devant les réverbères pour les éteindre. Toujours la même gamine qui essayait d’échanger dans toutes les langues et qui jouait avec tous les enfants du monde. Nous sommes tous devenus grands. Jemma, Jorca, Jack, Thomas… Nous revenons toujours ici avec nos propres enfants. Nous les emmenons sur nos pas, leur faisons apprécier le goût de l’eau lorsqu’il fait si chaud. Nous leur apprenons à aimer au-delà des frontières, à échanger, même lorsqu’on ne se comprend pas. Dans cet Eldorado, nous sommes libres et nous sommes éternellement ces gamins heureux, et nos parents qui nous ont menés là, eux ne vieillissent pas…
Ce texte appartient à la série El Chaparral. El Chaparral #5 à relire ICI
C’est beau ce temps qui passe positivement grâce à la transmission.
Même les selffeet se transmettent de mère en fille à ce que je vois.
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Pas d’âge pour les selfeet 😉
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