{Texte} Echo dans la nuit

– Nous sommes en train de le perdre…

– Oui.

– Il va falloir s’y faire.

– Pourquoi dis-tu cela ?

– Après lui, bien d’autres. Nos parents, nos frères, sœurs, à moins qu’avant, nous partions nous…

– Oui, il va falloir s’y faire.

– Nous sommes fortes, fortes et confiantes, dans la vie confiantes, toujours, parce qu’elle est tant, comme si peu, à la fois… Nous croyons en ces hasards qui la hantent et qui ne sont pas vraiment des hasards tous comptes faits. Nous croyons en ces rencontres nourrissantes, de celles qu’on n’imaginait pas tant on ne voyait pas l’autre. La vie est incroyablement douce de surprises et âpre de pertes. Elle est la vagabonde comme l’amante. La main dans notre cou, le baiser long et savoureux sur nos lèvres asséchées, la décharge électrique au fond du ventre quand l’autre débarque et bouleverse tout sur son passage. La vie est tout ou rien, l’accomplissement dans chaque acte, la sensation satisfaite d’avoir pu suivre ses envies, son cœur, pour être là aujourd’hui, droites comme nous dans nos baskets, rayonnantes, charmantes, aimables – aimables ! – aussi centrées que l’aiguille pointant sur le nord. La vie est tout ça pour nous et il la quitte, lui qui était si présent dans le coin de notre cœur, mais bien absent pourtant.

– Il ne souffrira pas…

– Non.

– Lui diras-tu au revoir ?

– Adieu.

– Lui diras-tu adieu ?

– Oui, si je peux, s’il m’attend encore un peu. Je devais… Le revoir un jour, je remettais à demain sans cesse, redoutant ce moment où, poussant la porte de sa chambre, je trouverai son regard vide, lui qui me donnait tant de sens. Il aurait fallu j’imagine alors, replacer les choses, les noms, les dates, les filiations et moi, et nous, nous ne pouvions plus, nous avons été lâches. Nous ne sommes pas revenues et s’il part, s’il part sans que nous puissions prendre sa main – cette main qui glissait toujours dans nos petites paumes la petite pièce miraculeuse – s’il part sans que nous puissions prendre sa main, alors, nous auront mérité cette douleur, nous n’aurons plus que nos larmes et notre amour pour la vie, notre confiance, notre envie…

– Notre envie ?

– Celle de vivre, de s’autoriser un peu à être heureuses, cette envie de rire, de faire rire aussi, perpétuer ce qu’il nous a appris, comme un hommage inconditionnel, un écho dans la nuit… Oui cette envie… Celle de vivre mais pas seulement. Plus seulement se contenter. Tout prendre tout, tous ces moments de joie, de plaisir, de bonheur, tous les prendre, les dévorer, les engloutir, parce que par définition ils nous font assez  de bien… Ne rien laisser, prendre, boire, manger, consommer, tout brûler, se nourrir autant que faire se peut, ne rien laisser, ne rien regretter, prendre pour lui, lui qu’on perd aujourd’hui, continuer, rire, faire rire, donner, aimer, aimer, être aimée parce que nous sommes aimable donc – désirer, s’autoriser, à être heureuse, s’autoriser, être en vie, en vie, envie, envie…

– Écho dans la nuit…

– Écho dans la nuit.

– La nuit.

///

– Il est parti ?

– Il est parti. Nous l’avons vu. Sur son lit d’hôpital, beau. De cette beauté d’âme qui nous a toujours baignée, cette aura… Fort, luttant face à la mort. Résistant, solaire. Nous avons pleuré. Beaucoup. Dans son oreille, nous avons murmuré les quelques mots qu’il nous fallait lui dire, enfin, à tout prix. Plus aucune pudeur.

“Je t’aime tu sais” et il a souri et il a serré notre main et son regard bien encore là, nous a comme transpercée. Et nous n’oublierons jamais cela. Il a souri et enfin le premier mot distinct est sorti de sa bouche sèche. C’était doux et fort et inespéré. De nous il se souvenait et ensemble dans cette chambre insipide et glaçante, nous étions connectés, par la profondeur de ces mots simples et courts, par sa peau contre notre peau, par nos yeux dans les siens, par un rire. “Je t’aime tu sais” et il a souri et il prononcé notre prénom. Nous lui faisions du bien dans ce début de voyage sans retour, nous étions là et nous lui faisions du bien et nous lui tenions la main pour lui donner le courage de prendre le chemin…

– Il est parti.

– Il sera toujours en nous.

– Il est parti.

– Écho dans la nuit.

A la mémoire de P.F, parti le 31 août 2015, à jamais en moi.

A écouter

clarquemain

8 réflexions sur “{Texte} Echo dans la nuit

  1. Tu avais raison, c’est un texte triste mais pas seulement. Il résonne fort et longtemps dans la tête.
    Je l’ai compris moi-même il y a pas mal d’années maintenant, à la faveur d’un départ douloureux… Il ne faut jamais attendre et repousser le moment où on dit « Je t’aime » à quelqu’un.
    Et il faut vivre ! Toujours.

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  2. Les raccourcis empruntés par la vie sont particulièrement cruels et injustes parfois (perdu ma cousine, cadette de 8 ans, en juillet). Alors oui, tu as raison, il ne faut jamais oublier de remettre à plus tard ces détours qui empêchent l’expression de nos « Je t’aime »….

    Aimé par 1 personne

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