Je l’écoutais. Non, pardon. Je l’entendais mais je ne l’écoutais pas. Car ses mots assaillaient mon visage, martelaient ma peau, dessinaient des volutes dans le pavillon de mes oreilles, puis pénétraient en moi, pour s’engluer dans la brocante de mon cerveau.
Ils restaient là, empêtrés, perdus dans la masse, éloignés des autres mots, ceux-là même qui auraient donné jadis un sens à leur voisin absent.
Je l’entendais mais je ne la comprenais pas. Impossible. Impossible de me concentrer sur autre chose que sur cette bouche qui m’envahissait de mots, devenus pour moi totalement étrangers.
Cette bouche, une bouche framboise aussi mûre qu’un fruit d’été, parlait alors une autre langue. Elle ondulait avec sensualité sur un visage lumineux. Je me surpris terriblement gourmand, tandis que les mots rejoignaient les étals du vide-grenier qui prenait place dans ma tête.
La lèvre inférieure particulièrement charnue, me fit soudain saliver. J’aurais aimé la croquer avec empressement, comme on croque une pêche juteuse, et laisser le sucre couler sur mon menton satisfait. Ou alors, j’aurais pris mon temps, laissant insidieusement la faim faire son trou dans mon ventre. J’aurais alors posé une main le long de son cou de cygne, laissant flirter la pulpe de mes doigts contre sa tendre nuque. De l’autre main, je l’aurais faite prisonnière d’une étreinte étouffante, accaparant ce corps d’oiseau fragile contre moi. Et alors, doucement, tout doucement, du bout de mes lèvres, j’aurais conquis cette terre inconnue. Je les aurais alors posées sur le fruit délicat et dans la douceur de ce baiser, comme ça, sans qu’elle comprenne, j’y aurais planté mes dents comme on plante l’étendard dans la poussière de la lune. Et cette bouche, cette femme, auraient été miennes. Là, dans la prison de mes bras, elle aurait baissé les armes, fait tomber ses frontières pour se laisser appartenir et se taire enfin.
Mais au lieu de ça, ses mots ont continué à déferler, m’obligeant à déclarer ouverte, la foire-à-tout de mon âme. Bradant au tout-venant les noms, les adjectifs et les verbes, je comprenais enfin : « Monsieur Duchemin, il manque la page 3 du formulaire B-2 de la seconde partie de votre dossier. Celui-ci n’est pas recevable en l’état… »
J’aime beaucoup le : « planté mes dents comme on plante l’étendard dans la poussière de la lune »
Ça me parle…
Bien joué une fois encore.
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Un fruit juteux à souhait comme je l’aime! Bonyenne que tu écris bien!
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