{Texte} Le goût des choses

Rosalie aimait manger et il faut le dire, la nourriture le lui rendait bien. Elle était de ces femmes que l’on cataloguait d’un seul regard dans la catégorie « très très pulpeuse ».

Une poitrine nourricière et lourde, des fesses pleines et rondes, des cuisses qui ne pouvaient que se frotter l’une à l’autre à chaque pas, une ceinture de chair irréductible qui chevauchait le haut de ses pantalons.
Elle aimait manger. Elle était celle qui invitait sans cesse tout le monde, qui tirait la rallonge de sa table, mettait les petits plats dans les grands et celle qui une fois ses tendres fesses potelées posées sur sa chaise, n’en décampait plus de la soirée, pour engloutir avec frénésie vins et mets. Année après année, son mari Jules, pu ainsi observer les couches de graisse et de sucres se superposer les unes sur les autres, enveloppant cette femme qu’il épousa pourtant mince, et qui lui donna trois beaux enfants de plus de 4 kilos chacun. Ainsi, au fil du temps, il se montra de moins en moins affectueux. Car jadis, Rosalie était jolie. Oh certes beaucoup vous diront qu’elle l’était toujours, qu’une femme comme elle, on ne peut que rêver de la pétrir autant que faire se peut. Ces hommes-là vous diraient aussi qu’une femme, pour bien l’aimer, il faut pouvoir s’y agripper. On a aucune prise sur une planche à pain.

Un jour, Jules la quitta. Il voulut changer de vie, retrouver une femme moins sociable et moins gourmande.
Il prit ainsi ses clics et ses clacs, la laissant seule avec leurs enfants. Désormais seule à gérer quotidien, maison, gamins, erreintée et usée, elle n’invita plus personne chez elle. Elle en oublia de manger.
Elle, qui se serait damnée pour un verre de coteau du Layon et une tranche de foi gras, elle qui bavait devant la vitrine de la pâtisserie chaque jour, elle qui comblait l’absence de caresses de Jules par la nourriture, elle, Rosalie, elle ne mangea plus. Ou si peu. Juste le strict nécessaire pour calmer le soir tous ces bruits dans son ventre.

Sans s’en rendre compte, Rosalie fondit. Ce fut spectaculaire. Sa garde-robe devint ridicule. Plus aucun vêtement ne lui allait plus. Avec ce nouveau corps, plus séduisant que jamais, elle rendit les hommes fous. L’un d’entre eux, Adam, retint son attention et ses faveurs. Lorsqu’il posait ses mains sur ses seins si ronds, sur ses fesses galbées ou sur sa peau si douce, il se répétait qu’il devait avoir fait un truc incroyable dans sa vie pour mériter une femme aussi merveilleuse que Rosalie. Il s’en rendit compte : les choses devinrent sérieuses entre eux. Il n’avait plus seulement envie de parcourir ce corps désirable une nuit par semaine seulement. Non. Il voulait bien plus. Alors il fit les choses bien? Il acheta une bague très couteuse, donna rendez-vous à Rosalie dans le plus gastronomique des restaurants et avec elle passa la soirée la plus romantique qui soit. Homard, langoustines, pigeonneau, truffes, fromages, Pouilly Fumé, fondant au chocolat vinrent réveiller les papilles de Rosalie. Elle retrouva le plaisir oublié des toutes premières bouchées. Celles qui vous transportent dans un autre monde d’emblée et vous rappellent comme il est bon de vivre et surtout d’exister.

Quand elle découvrit au fond de sa coupe de Veuve Clicquot, la bague et son solitaire éclatant, Rosalie se souvint soudain de sa vie passée et de ses kilos en trop. Ecoeurée, elle se leva brusquement, jeta sa serviette sur la table, quitta le restaurant sans un regard pour Adam, se retrouva dans la rue, sur le trottoir et soudain restitua l’intégralité de son délicieux repas dans le caniveau.

2 réflexions sur “{Texte} Le goût des choses

  1. Pauvre Adam… (ben oui, solidarité masculine…)
    A part ça, un texte bien troussé.
    C’est peut-être pour éviter ce genre de situation que les étoilés d’aujourd’hui présentent des portions régulièrement faméliques… (mais néanmoins tout aussi régulièrement divines en termes de saveurs).
    Bref, Claire, un très beau texte encore.
    On en redemande.

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