
Ça prend comme ça. Ça pique. Comme le sel. Ça prend là, au fond, bien au fond dedans, dedans le ventre.
Voir la mer.
Là maintenant.
Tout planter.
Se planter devant. Ne plus penser.
Les eaux grises, le vent froid, les chaussures dans la laisse.
Les cheveux qui volettent, humides, qui collent au visage.
Au loin un homme.
Il charrie du goémon dans un seau, passe près de moi.
Il répond à mon salut timide d’un signe de tête entendu, qui semble dire : « Vous aussi… »
Lui dire « oui » avec les yeux; lui dire « Oui Monsieur, moi aussi… »
Le regarder déverser les algues noires dans sa remorque un peu plus haut puis redescendre vers l’estran, le seau vide au bout du bras.
Ça me fait penser, sans aucun lien aucun, ça me fait penser à une nuit où nous étions si jeunes si, enlacés sur la plage, si droits dans nos baskets. Tu étais là contre moi et rien ne pouvait m’arriver. Et pareil à ce jour, les vagues vives venaient pourtant mourir à nos pieds, et j’aurais du, j’aurais du les compter.
Et je me dis, comme ça, je me dis que si nous savions comment faire, ça changerait, ça changerait de tous ces moments douloureux, où je ne suis pas moi, où je n’existe pas.
Il faudrait tout laisser au vent, boire du vin rouge sur de la musique douce, rire du passé et se rappeler. Il faudrait jouer aux dés, regarder de vieux films sous une couverture épaisse, chercher l’épaule où poser sa tête, frôler la paume de la pulpe des doigts, prendre ça, prendre au moins ça et partir.
J’ai toujours aimé revenir à l’origine des mondes.
La Cybérie me semblait un continent disparu dont j’étais rescapé, mais comme ici, il en reste des sommets émergés.
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